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Les eaux tranquilles du possible

Jeanne Las Vergnas





  1.

Dans le silence, ce silence profond
ce silence lourd d'avant le son
se forme la phrase muette
mais déjà reconnue par le corps
C'est le réveil de cet endormi
lové en votre tête juste avant
l'éveil de la force de joie, l'or
prêts à jaillir en traits de lumière
Ce n'est plus l'attente mais l'acceptance
l'accueil dans ce lac tranquille qui
recueille toutes les eaux du possible
au seuil de l'imaginable mais surtout
soudain apte à saisir l'inimaginable
 

2.

Au bord des pierres dures
qui forme ce rempart
qui enferme en huis-clos
dans la lourdeur pure
la chair, la parole darde
son battant qui frappe et sonne
clair à travers la montagne
Là il faut creuser à même la fontaine
sèche couches après couches
par la pénétration du mot
jusqu'aux nappes profondes
gouttes après gouttes dans les fagnes
lentement infiltrées car rien
ne parvient à résister à l'eau
 

3.

Ne plus traquer les pensées, les mots
pour s'ajuster aux êtres rencontrés
aux êtres rêvés, aux aimés
mais demeurer dans la présence douce
la permanence réelle
source de toute joie
et par delà les fugaces moments
embrasser à jamais l'instant
 

4.

Dans la beauté du marécage
au printemps sous le chant des oiseaux
et le bruissement des animaux sauvages
l'étang reflète les roseaux
le repos se fait sur les eaux
la légèreté du ciel, le vent s'emparent
de la lourde matière
qui dès lors après un lent décantement
s'en va dormir par les grands fonds
Le soleil caresse les algues les pierres
les eaux s'évaporent doucement
ce moment de perfection sage
d'équilibre rare entre les éléments
est la source de transmutations étranges
 

5.

Pluie fine, pluie douce sur mon jardin
lourdeur en mon corps de rousse
il faut descendre jusqu'aux rondeurs
fortes sur lesquelles s'arqueboutent les lettres
Pluies fines, pluies longues caressant
les herbes et doucement humectant la terre
jusqu'à la dissolution, la disparition
de tout ce qui est mouvance. Plus profond
gît la continuité par-delà l'usure
des roches. Là se retrouvent les essences
 

6.

L'essence des formes se concentre
avec chacune son parfum donné
sa tonalité si particulière
qui fait que tu aimes tant ce pays
ce lieu qui est le tien
L'humus y est profond, léger
vivifiant, riche en racines,
dame noire prête à enfanter
Dans cette terre de ténèbres
sont donnés les premiers mots
qui dès lors aspirent à la lumière
Ce qui était venu du ciel
après avoir germé en toi, s'être embelli
repartira avec la vibration du soleil
 

7.

Glace ou feu même brûlure
Naissance ou mort même déchirure
Le corps ou l'âme même intermédiaire
            de la lumière
Pas d'autre énigme. Tout est là
            Tout dans ce paradigme.

Femme d'opaline (1997)