Noli me tangere

Jeanne Las Vergnas





 

1.

Les chemins des collines
Errent en des lointains telluriques
Par les jours de bruine
Un homme à la démarche unique
Le teint glabre, de pâles yeux
Les pieds dans la glaise
Voudrait bien regarder les cieux
Attentif à ses pas, mal à l'aise
Il force, il peine pour s'arracher au bourbier
Avec ces semelles ridicules
D'un faux cosmonaute en mal d'espace
Parfois il lève sa face
Sourit aux nuages qui circulent
Libres et heureux là-haut

Il fait alors des mouvements étranges
Des battements d'ailes
Des tournoiements de moulin à vent
Des gestes d'ange
Il s'imagine en apesanteur
Voguant avec lenteur
Au-dessus des collines
Jusqu'aux sommets sur le sommet du monde

Et c'est alors qu'il glisse dérape
Et roule dans l'argile jaunâtre
Redevenu en un instant
Cette statue de terre d'avant
Le souffle parâtre

 


2.

Il fait des bulles irisées
Qui s'envolent au soleil
Les mots éclatent tout pareils
Ils enflent    partent fluets
             Puis plus rien
C'est juste pour la beauté
Du geste    l'éclat éphémère
             La pulsion d'être
Même pour un si bref instant léger

Ce qui subjugue c'est
Cette forme parfaite qui se crée
S'élabore    se conjugue
Et s'envole libre
Au souffle du vent dansant
Dans son scintillement diapré
Un si bref instant    léger
             Elle a été
Puis une autre    et une autre
             Tout comme nos vies
 

3.

Le voici proie
Pris aux mailles de la toile
Bla    bla    bla
Blog    blog    blog
ça blablate de tous côtés

Ou bien se fait-il araignée
Essayant de digérer
Quelque histoire improbable
Il avance comme un halluciné
Où poser sa fringale

Clic ! Une photo
Pour qui ? Pour quoi ?
Quel en est le sens ?
Chacun dans sa bulle
Fait des bulles
Qui éclatent sans savoir pourquoi

J'aimais ces temps lents d'autrefois
Où je touchais de mes doigts
Je reniflais    je mordais
A même les chairs moites
J'aimais ces souffrances du réel
J'avance dans tout ce virtuel
Escortée par des armées de fantômes

L'air vibre d'ondes
Ses yeux voient ces signes
Qui partout s'affichent et clignotent
Mais ses mains sont vides
- il ne saisit rien -
irrémédiablement vides

Et je photographie ces mains tendues
Quel en est le sens
Pour qui ? Pour quoi ?
Vois ces mains tendues !
Voyez tous ces mains tendues !
 

4.

Surtout ne me touche pas !
Geste esquissé
Doigt tendu vers toi
Mais surtout qu'il n'y ait aucun contact !

La toile permet    offre à tout regard
Tous les élans possibles mais figés
En une totale abstraction
Une permanente frustration

Et le corps alors ? Et ses pulsions ?
Ces forces inconscientes et fatales
Ravageuses    sans cesse engendrées
Qui enflent en des violences
Des râles ingérables toujours refoulés
Et toujours titillées
Par cette virtualité accessible
A tout instant geste du doigt
Et de là en plein cœur de la cible

Mais surtout ne me touche pas !
 

5.

Et Jésus le dit à Marie de Magdala
Et puis s'envola
Pur esprit dans l'au-delà
Et Marie de Magdala le cria
Partout sur tous les toits    ameuta
Tous les disciples    qui le cherchèrent
Et depuis cherchent toujours.    Ils errent.
 

Un lent embarquement (2009)