Les chambres bassesJeanne Las Vergnas
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1.
Quand l'amour est passé l'âme atterrée se retire dans les chambres basses elle y flâne lasse d'effroi cherchant encore une envolée Dans les couloirs obscurs elle se tasse énergie amassée enfermée dessous la glace scintillante Et puis tout à coup par trop de souffrance décomposée elle éclate en minces particules pétillantes prêtes à danser léger duvet emporté sur les prés papillon doré éphémère beauté nouvelle danse d'un été Tout peut alors recommencer | |
2. Dans les chambres basses La voix se fait sourde souffle presqu'inaudible, le cœur s'emballe et cogne enfermé dans cette cage de chair et d'os cible donnée il s'abandonne aux flèches qu'Amour tire à l'aveuglée et toujours blessé en ses chambres basses se retire pour étancher le sang qui jaillit de ses plaies la vie le quitte Mais tel Prométhée tous les matins il renaît et sort de ses chambres basses pour redonner son cœur à déchirer | |
3. Dans les chambres basses de la terre naissent d'étranges merveilles Après une longue descente souterraine aux lampes d'acétylène silencieuse et émue s'ouvrent les immenses voûtes altières du salon noir de Niaux sur la paroi veillent et dansent les bisons effrénés aux bouquetins enlacés A peine émergés de la lumière et replongés dans la fraîcheur des cavernes voici l'émoi des rutilantes couleur de Lascaux sur les parois laiteuses si fraîches si vives si animées si claires les animaux anciens se meuvent vivants et familiers en un ballet d'éternité et l'émotion monte et poigne gorge et entrailles serrées En ces chambres basses l'homme se terre pour rencontrer le sacré en ces zones obscures les forces cachées peuvent enfin émerger | |
4. Dans les chambres basses il faut débusquer le monstre l'amadouer l'apprivoiser lentement avec une longue patience Il se cache et passe ombre folle chat sauvage à peine entrevu mais tous les jours présent pour réclamer son dû fantôme efflanqué qui mange et parfois oublié à la fenêtre vient faire briller les grands éclairs de ces yeux perçant la froide obscurité cris d'enfants écorchés L'angoisse est là dévorante à défaut de pouvoir s'en saisir il faut doucement l'alimenter pour qu'elle ne soit pas trop envahissante Alors ainsi parfois elle se cache et se laisse oublier un temps | |
5. Dans les chambres basses des ombres passent des souffles des ondes des flashes qui un instant éclairent des coins oubliés frissons de la peur qui glace sang et eau sueurs ruisselantes images insoutenables des ces réalités ténébreuses que le jour en vain s'acharne à surimprimer images surexposées choc de chaise électrique muscles tétanisés voix qui ne peut même plus crier déchirement irréparable du cri muet | |
6. Quand la chair a été déchiquetée par petits morceaux arrachée l'être descend et se rétracte vers le centre en ses chambres basses Il descend et il descend entracte prolongé sur la scène de la vie jusqu'à ce qu'il rencontre enfin la coque dure le noyau les roches noires et denses les gangues et là il se concentre graine protégée enrobant en ses strates profondes quelques stigmates de cette vie jouée humbles témoignages fossiles à exhumer en d'autres âges | |
Buveuse d'espace (1988) |
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voir le blog de Christine Belcikowski La Dormeuse en date du 14 janvier 2010 |